(NB. Document rédigé en 2019. Il appartient au lecteur candidat Capésien de l’actualiser à l’éclairage des sessions les plus récentes).
Jusqu’à la session 2010 du CAPES, il était souvent question dans le travail à présenter au jury lors de l’Oral 2 de dégager les « savoirs et méthodes » travaillés dans un exercice.
La session 2011 de l’épreuve sur dossier s’est distinguée par l’abandon de cette formulation, remplacée par une question récurrente : « Quelles sont les connaissances et compétences mises en jeu ? ». Les sessions suivantes jusqu’en 2017 inclus ont complaisamment surenchéri : « Analysez ces productions d’élèves en mettant en évidence les compétences acquises ». Cependant, les auteurs des sujets eux-mêmes hésitaient sur la signification d’une telle question. Lors de chaque session en effet, un ou plusieurs sujets d’épreuve sur dossier, franchissant allégrement les bornes du ridicule, donnaient l’occasion d’en dénoncer, preuves à l’appui, quelques dérives regrettables.
Ce changement de vocabulaire semble étroitement lié au changement d’orientation des directives ministérielles qui ne définissent plus les objectifs d’enseignement en termes de savoirs à apprendre et de méthodes à acquérir, mais en termes de compétences.
Ivana Ballarini-Santonocito explique ainsi ce changement d’orientation, sensible dans toutes les disciplines (Mediadoc n° 5 Déc.2010) :
« La mise en place du socle commun de connaissances et de compétences tente d’impulser une approche des apprentissages scolaires qui se démarque de la pédagogie traditionnelle et se rapproche des théories issues de l’école nouvelle. Cette orientation passe par un centrage sur le développement de compétences plutôt que sur la transmission de savoirs.
Nous retrouvons là un dilemme récurrent dans l’histoire de l’éducation : faut-il enseigner des savoirs ou développer des compétences ? Ce dilemme oppose, en caricaturant un peu, les partisans des « têtes bien pleines » à ceux des « têtes bien faites » et traduit deux conceptions de l’école : l’une, plus classique, basée sur la transmission des savoirs et la découverte d’un large champ de connaissances de type encyclopédique, est essentiellement fondée sur une pédagogie transmissive et une transposition didactique issue des savoirs savants de référence ; l’autre, plus moderne, inspirée de l’école nouvelle et de la formation professionnelle, est fondée sur les pédagogies actives et une transposition didactique qui prend en compte les pratiques sociales et professionnelles de références. »
Cette citation expose clairement le point de vue des « développeurs de compétences », bande de cuistres dénigrant une conception prétendument passéiste de l’enseignement au profit de leur propre conception dont ils autoproclament, avec une fatuité sectaire, l’excellence. Cette conception implique une dévalorisation de l’acquisition des savoirs que ces soi-disant spécialistes de la didactique subordonnent à une approche transmissive (ce qui est un mensonge éhonté). En fin de compte, il n’y a plus de savoir du tout mais du brassage de vent.
De quoi s’agit-il exactement ? Nous allons tenter d’apporter quelques éléments de réponse.
1. Petit lexique basique
Commençons par consulter quelques définitions dans le dictionnaire Larousse en ligne :
- Savoir : Ensemble cohérent de connaissances acquises au contact de la réalité ou par l’étude
- Savoir-faire : Compétence acquise par l’expérience dans les problèmes pratiques, dans l’exercice d’un métier
- Méthode : Ensemble ordonné de manière logique de principes, de règles, d’étapes, qui constitue un moyen pour parvenir à un résultat
- Capacité : Aptitude de quelqu’un dans tel ou tel domaine
- Connaissance : Action, fait de comprendre, de connaître les propriétés, les caractéristiques, les traits spécifiques de quelque chose
- Compétence : Capacité reconnue en telle ou telle matière en raison de connaissances possédées et qui donne le droit d’en juger
Comme on le voit, ce lexique est insuffisant, la notion de savoir s’appuie dans ce lexique sur celle de « connaissance » alors que la notion de connaissance fait appel à elle-même pour se définir. La définition de « compétence » quant à elle paraît trop floue pour caractériser ce que l’on entend par « compétences mathématiques ».
Consulter cependant REDCM page 22 pour une distinction entre « savoirs », « savoir-faire » et « compétences »
2. Connaissances
Une distinction souvent admise entre « savoirs » et « connaissances » est la suivante :
Alors que les savoirs sont des données ou des concepts qui existent en tant que tels et sont codifiés dans une mémoire collective (un manuel par exemple), les connaissances sont liées à l’individu qui les possède. Lorsqu’un individu « prend connaissance » d’un savoir, il s’approprie ce savoir à sa façon et transforme ce savoir en connaissance. Cette « connaissance » lui appartient alors en propre, il s’agit d’un savoir assimilé.
Ainsi, lorsqu’un élève met en œuvre une « connaissance », il met en œuvre non pas un savoir ou un savoir-faire intangible, mais la conception qu’il s’est construite de ce savoir ou de savoir-faire.
Connaissances selon la « science cognitive »
Cette « science » (guillemets indispensables, ne perdons pas de vue en effet que l’adjectif « cognitif » est a priori suspect tant il est familier aux charlatans …) semble quant à elle distinguer trois types de connaissances :
- Les connaissances déclaratives correspondent aux connaissances théoriques, au « savoir », à la connaissance des faits, des règles, des lois ou des principes. Il s’agit de connaissances essentiellement statiques, invariantes d’un individu à l’autre.
- Les connaissances procédurales correspondent au comment de l’action, aux étapes, à la procédure de réalisation de l’action, au « savoir-faire ». Ce sont des connaissances dynamiques qui ne peuvent se développer que dans un contexte d’action et sont sujettes à une marge de variabilité d’un individu à l’autre.
- Les connaissances conditionnelles correspondent au pourquoi et au quand de l’action. Ce sont des connaissances stratégiques qui permettent de déterminer le moment et le contexte dans lequel il est approprié d’utiliser telle procédure, telle connaissance. Elles sont fondamentalement dynamiques et spécifiques de chaque individu. Ce type de connaissance est une des caractéristiques de l’expertise. Les connaissances conditionnelles sont également responsables du transfert des apprentissages, c’est à dire de la capacité d’utiliser les connaissances dans un contexte différent de celui dans lequel elles ont été acquises.
3. Compétences
Quel que soit le point de vue choisi, on constatera qu’une « compétence » est une notion relative qui se travaille sur le long terme et qui est toujours en construction.
3.1. Le point de vue de Guy Le Boterf
Guy Le Boterf propose la définition suivante :
La compétence est la mobilisation ou l’activation de plusieurs savoirs, dans une situation et un contexte donnés.
Il distingue plusieurs types de savoirs et savoir faire qu’une « compétence » est à même de combiner :
- Savoirs théoriques (savoir comprendre, savoir interpréter)
- Savoirs procéduraux (savoir comment procéder)
- Savoir-faire procéduraux (savoir procéder, savoir opérer)
- Savoir-faire expérientiels (savoir y faire, savoir s’y prendre)
- Savoir-faire sociaux (savoir se comporter, savoir se conduire)
- Savoir-faire cognitifs (savoir traiter de l’information, savoir raisonner, savoir nommer ce que l’on fait, savoir apprendre)
3.2. Les compétences selon le rapport d’évaluation OCDE/PISA
Le rapport d’évaluation PISA de l’OCDE est une enquête menée périodiquement dans les pays membres de l’OCDE pour évaluer l’acquisition de savoirs et savoir-faire essentiels, notamment en mathématiques.
Ce rapport dresse une liste de huit compétences générales valables à tout niveau d’enseignement, celles-ci s’énoncent en termes de « capacités » :
1.Capacité de pensée mathématique
- Savoir poser des questions caractéristiques des mathématiques (« Existe-t-il… ? », « Si oui, combien ? », « Comment trouve-t-on… ? »)
- Connaître les types de réponses que les mathématiques réservent à de telles questions
- Savoir distinguer différents types d’énoncés (définitions, théorèmes, conjectures, hypothèses, exemples, assertions conditionnelles)
- Comprendre la portée et les limites de concepts mathématiques donnés
2. Capacité d’argumentation mathématique
- Appréhender ce qu’est une démonstration mathématique et en quoi elle diffère d’autres formes de raisonnements mathématiques
- Comprendre et évaluer différents types d’enchaînements d’arguments mathématiques
- Posséder un certain sens de l’heuristique (anticiper sur ce qu’il peut se produire et pourquoi)
- Savoir développer une argumentation mathématique
3. Capacité de modélisation mathématique
- Savoir structurer le domaine ou la situation qui doit être modélisé
- « Mathématiser » (c’est-à-dire opérer une traduction de la « réalité » vers la structure mathématique) et « démathématiser » (c’est-à-dire interpréter des modèles mathématiques en termes de « réalité »)
- Travailler avec un modèle mathématique : savoir valider un modèle ; réfléchir, analyser et se montrer critique à son égard
- Savoir communiquer à propos du modèle et de ses résultats (y compris au sujet des limites de ces derniers)
- savoir maîtriser le suivi et le contrôle du processus de modélisation
4. Capacité de poser et résoudre des problèmes
- Savoir poser, formuler et définir différents types de problèmes mathématiques (« purs », « appliqués », « à réponses ouvertes », « à réponses fermées »)
- Savoir résoudre différentes sortes de problèmes
5. Capacité de représentation
- Savoir décoder, interpréter et distinguer différentes formes de représentation d’objets et de situations mathématiques ainsi que les relations entre les diverses représentations
- Savoir choisir entre différentes formes de représentations et passer de l’une à l’autre en fonction de la situation et du but recherché
6. Capacité symbolique, formelle et technique
- Savoir décoder et interpréter le langage symbolique et formel, et saisir les relations qu’il entretient avec la langue naturelle
- Opérer la conversion de la langue naturelle vers le langage symbolique et formel
- Manier des énoncés et des expressions contenant des symboles et des formules
- Utiliser des variables, résoudre des équations et effectuer des calculs
7. Capacité de communiquer
- Savoir s’exprimer de diverses façons sur des sujets à contenu mathématique, tant oralement que par écrit
- Savoir comprendre une information orale et écrite sur les mêmes sujets, formulée par autrui
8. Capacité de manier les outils et les instruments
- Connaître et pouvoir utiliser différents outils et instruments (y compris les nouvelles technologies d’information) pouvant contribuer à l’activité mathématique
- Être informé des limites effectives de tels outils et instruments
On remarquera que dans chaque cas, une « compétence » désigne une attitude, un « savoir-agir ». Cet aspect de « savoir-agir » caractérise également les types de compétences suivant la classification de Le Boterf
3.3. Une synthèse en huit compétences
Une liste de compétences plus proche de la classification en différents types de problèmes (REDCM pages 19 à 23) est la suivante :
- Savoir expérimenter : prendre des initiatives, émettre une conjecture
- Savoir modéliser : choisir un modèle, travailler avec ce modèle, l’interpréter
- Savoir évaluer : critiquer un résultat, vérifier la validité d’un résultat ou d’une méthode, la pertinence d’un modèle
- Savoir communiquer : développer une argumentation, justifier son résultat, mettre en forme un raisonnement, structurer une méthode
- Savoir restituer : mobiliser ses connaissances, appliquer une méthode éprouvée, développer une démarche connue
- Savoir représenter : choisir entre plusieurs représentations d’un même objet mathématique, changer de point de vue, mobiliser ses connaissances indépendamment du contexte
- Savoir se documenter : faire preuve d’autonomie dans le traitement de l’information, sélectionner, organiser, traiter l’information
- Savoir instrumenter : utiliser à bon escient différents outils et instruments
3.4. Les six compétences du document « compétences mathématiques au lycée »
Ce document, à lire et relire absolument, décrit et détaille uniquement six compétences : chercher, modéliser, représenter, calculer, raisonner, communiquer. Tout candidat devrait être capable de réciter chacun des six versets de ce document « par cœur », à l’endroit comme à l’envers, à l’instar du petit livre rouge des gardes maoïstes d’antan. Il s’agit là du missel de référence suprême à installer à demeure sur sa table de chevet.
4. Conclusion
Quelle que soit leur conviction personnelle sur la question, les candidats se doivent de se conformer strictement à la doctrine de l’Institution, aussi sectaire et réductrice qu’elle soit. L’assimilation du discours officiel, cela se prépare aussi !